Les Tribunaux de commerce, face à la multiplication d'entreprises en difficulté due à la pandémie, adaptent leurs procédures. Les juridictions commerciales sommées de fermer en cette période de confinement s'organisent. Pour épauler les dirigeants sur les mesures d'aides, les administrateurs et les mandataires judiciaires mettent en place à partir du lundi 23 mars un numéro vert gratuit (0 800 94 25 64).
Les 134 tribunaux de commerce de la métropole alertent les dirigeants sur la nécessité d'anticiper les difficultés.
Les Tribunaux de commerce doivent aussi s'adapter à ce contexte inédit de pandémie. Dimanche soir, Nicole Belloubet, la garde des Sceaux, a annoncé la fermeture dès aujourd'hui de tous les tribunaux à l'exception des « contentieux essentiels » mais elle n'a pas évoqué le sort des juridictions commerciales.
Les procédures collectives (sauvegarde, redressement judiciaire, liquidation) sont-elles considérées comme telle ? Les juges consulaires attendent rapidement des précisions - imminentes - de la Chancellerie. Pour l'heure, les 134 Tribunaux de commerce de l'Hexagone réfléchissent à de nouvelles méthodes de travail pour accompagner les dirigeants en difficulté - et ils seront légion avec la crise - sans se rendre au Tribunal.
Un numéro vert gratuit pour joindre les administrateurs et mandataires judiciaires
En première ligne pour accompagner les dirigeants au Tribunal en cas de difficultés, les administrateurs et mandataires judiciaires se concentrent sur le conseil pendant cette crise du Covid-19. Pour renseigner sur les mesures de soutien annoncées par Bercy (report des charges sociales et des créances fiscales, rééchelonnement des crédits bancaires, accès aux aides de Bpifrance), ils ouvrent à partir du lundi 23 mars un numéro vert gratuit : 0 800 94 25 64. L'initiative a été menée par le Conseil National des Administrateurs judiciaires et Mandataires judiciaires (CNAJMJ) et par le Ministère de l'économie et des finances en lien avec les juges consulaires.
Dans l'optique du renforcement des mesures de confinement, le Tribunal de Commerce de Paris, qui traite 15 % dossiers français, a décidé lundi une série de mesures. Finis les rendez-vous en face-à-face avec les dirigeants et les audiences seront réduites au minimum. « Les débiteurs et leurs créanciers adresseront aux juges chargés de la prévention leurs requêtes et leurs documents, et les échanges se feront par visioconférence entre les parties », déclare Dominique-Paul Vallée délégué général à la prévention des difficultés des entreprises.
Mesures exécutoires
Les procédures de prévention comme le mandat ad hoc ou la conciliation, qui permettent de trouver un accord de manière confidentielle entre les créanciers principaux et le patron pour rééchelonner la dette, devraient de toute façon être réduites. Car l'Etat a déjà annoncé une certaine souplesse sur les paiements à l'Urssaf et au fisc. Quant aux banques, elles devraient également être incitées à la clémence. « Les mesures exécutoires comme la saisie sur compte bancaire par exemple devraient être moins immédiates » explique-t-on au Tribunal de Commerce de Paris.
Pour les contentieux, les audiences non urgentes sont suspendues. Une seule audience par semaine sera maintenue pour traiter les sauvegardes, redressements judiciaires et les liquidations, afin que les salariés non payés puissent être pris en charge par l'AGS (le régime de garantie des salaires).
Information
Le Tribunal de Bobigny, un des trois plus gros de l'Ile-de-France avec 2.400 procédures collectives ouvertes l'an dernier, et 600 entretiens de prévention menés entre les juges et les dirigeants, est aussi en train de s'organiser en ce sens.
Du côté de la Conférence générale des juges consulaires de France, on attend des précisions sur les process. « Toutes les procédures qui ont des délais, comme les six mois de délai pour que le dirigeant dépose un plan dans le cadre du redressement, devraient à mon sens être gelés » demande Georges Richelme, président de la Conférence générale. Une signature numérique devrait être rendue possible dans le cas des ordonnances de mandat ad hoc et conciliation rendues par le juge. « Mais pour les procédures collectives, c'est un impondérable, il faut une audience, il faudra donc les geler pour l'instant » déclare Georges Richelme.
Face à la tempête économique qui s'annonce, la Conférence générale avait exhorté mercredi, au sortir de son conseil d'administration, à informer davantage sur les mesures de prévention pour éviter les faillites.
Coronavirus : les entreprises passent en mode commando
Entreprises fragilisées : les procédures pour s'en sortir
- le mandat ad hoc : peu formel et souple, il permet au dirigeant d'être accompagné par un mandataire ad hoc pour trouver des solutions, il est confidentiel.
- la conciliation : confidentielle aussi et limitée à quatre mois, elle permet qu'aucun créancier ne demande l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire. Elle conduit à un accord à l'amiable.
- la sauvegarde : procédure collective pour les entreprises qui ne sont pas encore en cessation de paiements. Elle met autour de la table tous les créanciers, le dirigeant, et l'administrateur judiciaire. Elle permet de suspendre les poursuites à l'encontre de l'entreprise, gèle le passif, mais l'opération est rendue publique.
- le redressement judiciaire s'adresse aux entreprises en cessation de paiements. L'opération échappe au dirigeant qui passe la main à l'administrateur judiciaire. En cas d'échec pour trouver un plan de rééchelonnement de la dette, c'est la case liquidation qui s'ensuit.
Ces procédures sont souvent mal connues et sous-utilisées par les petits patrons. Malgré un système français plutôt en pointe, les mandats ad hoc, conciliations et sauvegarde ne représentent que 21 % des procédures de restructuration. Pour alerter les dirigeants, le Tribunal de commerce de Bobigny ainsi que celui de Lyon avaient diffusé la semaine dernière des notes sur leur site Internet ou via les réseaux sociaux. La mobilisation est déjà le maître-mot pour l'après crise Covid-19. C'est lorsque les entreprises ne pourront plus compter sur la clémence des créanciers (Etat, banque,..) que les vrais chiffres de la casse risquent d'être cruels.
Marion Kindermans
Source : Les Echos publishing